La presse égyptienne continue de publier des éditoriaux contre la guerre en Irak. Les «preuves» du Secrétaire d’Etat américain Colin Powell présentées au Conseil de Sécurité des Nations unies ont été rejetées par des chroniqueurs estimant qu’elles n’ont rien apporté de nouveau. Parallèlement, certains éditorialistes ont reproché au régime de Saddam Hussein la détérioration de la situation. Ces critiques se sont récemment multipliées, en conséquence du sentiment de l’imminence de la guerre. Voici quelques extraits d’articles sur le sujet:
Akhbar Al-Yaum
Dans l’hebdomadaire égyptien officiel Akhbar Al-Yaum, le rédacteur en chef Ibrahim Sadah écrit: «Si le président irakien s’intéresse véritablement au bien-être de son peuple ainsi qu’à la sécurité et la stabilité de son pays, il doit le prouver en changeant de position, en se débarrassant de sa fausse arrogance et en cessant de vouloir se rehausser. Il doit prendre au sérieux les dangers qui le menacent de tous côtés, lui ainsi que son régime et son peuple.
Assez de mépriser le présent et l’avenir de ce malheureux peuple privé de tout! Assez de la tyrannie de ces vingt dernières années, de la dictature, des meurtres, de la torture, de la corruption et de la destruction! Assez de cette ignorance… Assez de ces apparitions télévisées infantiles où il [Saddam Hussein] rit, un onéreux cigare cubain à la bouche, tournant en ridicule tout ce qui a été arrangé pour lui, son régime et son peuple.
Si le danger de la guerre annoncée pouvait se limiter à la chute du régime dictatorial, barbare et inhumain de Bagdad, nous n’aurions que craindre. Au contraire, nous l’appuierions… Mais ce noble objectif ne pourra être atteint sans détruire l’Irak et abattre une grande partie de ce peuple irakien malheureux et innocent, impuissant face au régime de Saddam Hussein.
Si la sécurité et le bien-être de son peuple lui importaient un tant soit peu, le président irakien saisirait cette occasion unique – aujourd’hui plutôt que demain – d’effacer ses péchés et expier ses crimes. Il se poserait en face des médias pour annoncer qu’il a ordonné une coopération totale et sans réserve avec les inspecteurs… La balle se trouve à présent dans le camp du président irakien…»[1]
Al-Gumhuriyya
Le directeur du quotidien égyptien officiel Al-Gumhuriyya, Samir Ragab, écrit pour sa part: «Comme le président égyptien a souhaité que la défaite cuisante essuyée par le gouvernement [irakien] à l’issue de la guerre de libération du Koweït épargne le peuple irakien et son armée!
Hosni Moubarak, avec sa grande sagesse politique, sa riche expérience militaire et son aptitude à analyser une situation avec exactitude et réalisme, s’est aperçu que l’Irak est dans une situation difficile, à tous points de vue, et qu’une bataille aura des conséquences néfastes. Il a usé autant que possible de ‘l’arme de la patience’, mais son interlocuteur [Saddam Hussein] s’est entêté à se boucher les oreilles et à fermer les yeux, imaginant qu’il sortira vainqueur de la guerre, qu’il possède des armes qui lui permettront de rapatrier les Américains dans des housses mortuaires…
Quand la catastrophe a eu lieu [en référence à la libération du Koweït il y a 11 ans], on a pu voir se réaliser toutes les prédictions du président, que ce soit au sol, en mer ou dans les airs. L’armée irakienne a perdu ses armes et son équipement; le peuple a été dispersé dans toutes les directions et a perdu son honneur…
L’histoire se répète-t-elle…? Il est clair que les dangers qui attendent cette fois le peuple irakien et son armée ne sont pas moins grands qu’il y a dix ans, s’ils ne le sont plus…
Le président Moubarak a envoyé plusieurs messages aux dirigeants irakiens. Il a rencontré de hauts responsables irakiens, a en outre délivré des discours où il prodigue des conseils, des mises en garde, encourageant l’adoption d’une politique de transparence, le respect de la légitimité internationale, ainsi que l’application des résolutions du Conseil de Sécurité en révélant ce qui est caché, afin que les Etats-Unis n’aient plus d’excuse [pour faire la guerre] et se voient contraints de renoncer à l’action militaire et de se tourner vers des voies pacifiques…
Le temps passe vite et les occasions se sont presque toutes envolées. Qu’est-ce qui empêche les dirigeants irakiens de présenter des documents et des preuves qui les disculperont…?»[2]
Dans un autre article, Ragab commente le discours de Powell au Conseil de Sécurité: «Les Etats-Unis pensent-ils qu’en faisant entendre ces enregistrements et en montrant ces images, ils préparent le terrain et font des adeptes supplémentaires à une offensive contre l’Irak? Saddam Hussein croit-il qu’en s’opposant au discours de Colin Powell au Conseil de Sécurité, en l’accusant d’inventer et de répandre des mensonges, il empêchera une offensive contre son pays?
L’Amérique ne gagnera pas le soutien de la plupart des gouvernements et peuples. [Pas plus que] l’Irak ne se transformera en innocente brebis…
L’Irak porte la responsabilité [de la situation actuelle]. Il n’a d’autre choix que d’opter pour une politique claire et transparente en cessant de traîner les pieds. Les agissements des dirigeants irakiens pendant 34 ans nous ont suffi. Il est temps pour eux de saisir l’occasion de réparer ce qu’ils ont détruit pendant tout ce temps.» [3]
Al-Ahram Al-Arabi
Ossama Saraya, directeur de l’hebdomadaire Al-Ahram Al-Arabi, s’interroge: » Bush ne devrait pas hâter la guerre, encouragée par les erreurs et les retards du régime irakien et de Saddam Hussein… Pourquoi Saddam Hussein refuse-t-il de faire un pas en avant, comme les autres pays démunis d’armes de destruction massive, évitant ainsi de mener la région au bord du gouffre?» [4]
Al-Akhbar
Quant à Mahmoud Abd El-Mounim Mourad, chroniqueur au quotidien officiel égyptien Al-Akhbar, il ne comprend pas que les Etats-Unis envoient autant de forces contre l’Irak. Il pense que les forces américaines vont rester stationnées dans la région pour effrayer les paysenvironnants: «C’est un plan insensé dont le but est de transformer les êtres humains, tous les êtres humains, en robots muets au service des Américains et des Israéliens, [leur interdisant] de discuter, de résister ou de poser des questions… Ainsi, les Américains s’apprêtent à détruire toute l’humanité. Ceci est une folle illusion, qui ne deviendra réalité que si les hommes se transforment en animaux dressés.
Si l’Irak s’effondre sous [le feu des] armes américaines et britanniques, d’autres pays pétroliers et non pétroliers s’effondreront avec. La nouvelle carte du monde s’étale à présent sur la table, gardée par le chien de Bush, bien dressé… En ce nouveau siècle, les humains ne vont pas devenir des animaux dressés ou des robots muets aux mains des Américains et des Anglais – lesquels ont perdu le contrôle [de la situation] – ni des Israéliens, lesquels remporteront tout le gâteau préparé par Sharon et ses semblables.»[5]