A la surprise générale, le Premier ministre égyptien Atef Ebeid a annoncé, lors d’une table ronde organisée par le quotidien britannique The Economist qu’ « une économie de marché pour devises étrangères » serait incessamment opérationnelle, dès le 29 janvier 2002. Le flottement [1] de la monnaie égyptienne révèle que le gouvernement a renoncé au « système de stabilisation contrôlée » du taux central, permettant à l’offre et à la demande de déterminer le taux de change. [2]
La livre égyptienne a perdu presque instantanément près de 17% de sa valeur. La directrice générale adjointe du Fonds Monétaire International (FMI), Mme Anne Krueger, s’est empressée de saluer la décision des autorités égyptiennes « d’opter pour une totale flexibilité du taux de change ». Une « telle souplesse », précise la déclaration du FMI, « est nécessaire à la poursuite des efforts de l’Etat visant à introduire des réformes structurelles pour dynamiser l’économie, stimuler le commerce et les investissements. » [4]
Les raisons derrière la flottaison des devises égyptiennes
Bien que le moment choisi par M. Ebeid pour annoncer la nouvelle ait surpris, il semble que ce dernier n’ait pas eu le bénéfice du choix. La décision du flottement de la monnaie indique que le gouvernement égyptien accepte de reconnaître les deux points suivants :
D’abord, que la Banque Centrale égyptienne n’est plus en mesure de répondre à la demande en dollars du marché. Les réserves de devises étrangères n’ont cessé de diminuer ces trois dernières années tandis que la Banque Centrale égyptienne continuait de mener un combat d’arrière-garde pour faire cesser l’assaut sur la livre égyptienne. La hausse des importations et la baisse des exportations, auxquelles s’ajoute le déclin des revenus du Canal de Suez et des remises de fonds d’Egyptiens résidant à l’étranger ont épuisé une grande partie des réserves de devises étrangères. Ces dernières sont passées de 20 à 13 milliards de dollars, tandis que la livre a perdu près de 40% de sa valeur depuis novembre 2001.
Ensuite, que c’est le marché noir, plutôt que la Banque Centrale ou le système de stabilisation contrôlée, qui fixe le taux de change réel de la livre. Pendant des mois, le coût du dollar à l’achat et à la vente a dépassé les 5.2 LE (Livres Egyptiennes) sur le marché noir. Le coût officiel est resté stable, tournant autour de 4.6 LE. [5] Les banques égyptiennes faisaient toutefois payer aux clients 12 à 13% de frais de gestion, pourcentage équivalant à l’écart entre les taux de change officiel et réel.
Les implications du flottement
Comme tout changement important touchant à la politique économique, le flottement soudain de la monnaie nationale présente de multiples avantages et inconvénients.
1) Les avantages :
- La diminution de la fièvre spéculative et un certain équilibre dans le régime du taux de change
- Le marché doit s’adapter à un plus haut degré de compétitivité.
- L’allègement de la bureaucratie et du contrôle de l’Etat favorisent des réformes économiques structurelles.
- Le flottement encourage les exportations et les investissements étrangers.
- Il libère les devises étrangères accumulées. Cette libération a été amorcée au lendemain de la mise en œuvre de la nouvelle politique. De nombreuses banques égyptiennes ont été contraintes d’ouvrir des guichets supplémentaires pour satisfaire aux besoins de clients soucieux de convertir leurs devises étrangères en livres.
- Il profite à l’industrie du tourisme qui, en Egypte, fournit une grande partie des devises étrangères.
- Il répond aux exigences d’institutions financières internationales, lesquelles ont averti que la privatisation, la libéralisation du marché et la flottaison des devises représentaient les conditions essentielles au renouvellement de l’aide économique.
2) Inconvénients : les dangers du flottement ne sont pas moins importants.
- L’inflation représente le danger le plus important. L’Egypte compte amplement sur l’importation de produits agricoles pour nourrir sa population et sur les matières premières à l’usage de ses industries. Au lendemain de la mise en œuvre du flottement, le prix de l’habillement a connu une hausse de 70%, celui de la cigarette une hausse de 40%, le prix des produits pharmaceutiques une élévation de 65%, élévation qui fut de 35% pour les automobiles et de 50% pour le thon. [6] Un rééquilibrage est escompté après le choc préliminaire, mais la tendance à la hausse des prix est inévitable.
- Le pouvoir d’achat de la plupart des Egyptiens, hormis celui des 20 plus hauts salaires, va se trouver altéré. Or la capacité du gouvernement à accroître les subventions sur les produits clé ainsi que les salaires des fonctionnaires et des retraités est déjà limitée par le risque de creuser les déficits budgétaires.
- Agitation sociale et d’instabilité politique (comme en janvier 1977 où, sous la pression des institutions financières internationales, l’Egypte a réduit ses subventions, ce qui a conduit à une percée du prix du pain) sont à craindre. Vingt et un membres du parlement égyptien affiliés à l’opposition ont déjà remis en cause la validité de la décision gouvernementale. [7] En revanche, la presse officielle ne souffle mot sur le risque d’agitation sociale et politique.
Le rôle de Gamal Moubarak
Le flottement de la monnaie égyptienne n’aurait pas revêtu la même importance si ses initiateurs avaient été autres : le quotidien officiel Al-Ahram affirme que cette mesure économique cruciale est l’idée du secrétariat politique du parti au pouvoir, créé et dirigé par Gamal Moubarak, fils du président Hosni Moubarak.
D’après ce journal, « la huitième conférence du Parti national [au pouvoir] a connu un revirement favorable aux cerveaux de la politique et des questions sociales qui placent [l’Egypte d’abord] ». Ces derniers ont planifié l’avenir de la politique égyptienne ; la priorité est donnée à la nouvelle politique monétaire.
L’article conclut : « Une vision nouvelle et une position bien affirmée ont vu le jour, et nul ne pourra freiner la réforme tant que nous bénéficierons de ces nouveaux cerveaux qui accordent la priorité aux intérêts de l’Egypte et des Egyptiens, et qui sauront courageusement et prudemment surmonter les difficultés. » [8]
Cette déclaration significative doit être placée dans le contexte des efforts concertés de ces derniers mois pour amener Gamal Moubarak sur le devant de la scène politique. C’est à la lumière de ces efforts qu’il convient de considérer sa récente visite à Washington, à la tête d’une importante délégation.
* Le Dr Nimrod Raphaeli est chargé des analyses du programme d’études économiques du Moyen-Orient pour MEMRI.