L’establishment religieux
Certains dignitaires religieux se sont déclarés nettement favorables au développement d’un armement nucléaire arabo-islamique, s’appuyant sur des versets coraniques qui non seulement autoriseraient, mais recommanderaient leur fabrication. La première personnalité religieuse à s’être exprimée sur la question fut le cheik Tantawi, de l’université Al-Azhar, lors d’une conférence sur l’avenir stratégique du nucléaire hébergée par l’université d’Asyut (octobre 1999), conférence réunissant des chercheurs en physique nucléaire de différents pays arabes. Le cheik Tantawi a expliqué que l’islam « encourage la force, mais la force rationnelle et juste qui défend les opprimés, jusqu’à la défaite totale de l’oppresseur, car la force est l’une des caractéristiques d’Allah et de l’inspiration divine. »
Citant les dernières volontés du Calife Abou Bakr, [1] le cheik Tantawi a déclaré que ce dernier avait instruit le commandant musulman Khaled ibn Al-Walid de répondre par l’épée à l’épée de l’ennemi et par la lance à la lance de l’ennemi. Le cheik Tantawi explique : « Si Abou Bakr avait vécu à notre époque, il aurait ajouté : ‘A la bombe atomique, répliquez par la bombe atomique.’ La force représente l’une des caractéristiques des personnes sages et bienveillantes, conscientes de leurs obligations vis-à-vis de leur Dieu et de leur patrie ; elles y ont recours pour défendre leur foi et leur terre. Cette sunna était connue de tous les ancêtres.
Nous devons rester au niveau des autres peuples dans le domaine scientifique. En Egypte comme dans les pays arabes et islamiques, nous disposons de nombreux chercheurs. Les pourparlers sur l’option nucléaire et le désarmement au Moyen-Orient ne nous empêchent pas de nous préparer et de faire des progrès scientifiques au service de la vérité et de la moralité… Exiger qu’Israël adhère au traité contre les essais nucléaires ne nous empêche pas d’accumuler les connaissances et de progresser scientifiquement, jusqu’à ce que nous soyons en mesure de suivre les instructions de Khaled ibn Al-Walid : ‘Combattez-les avec les mêmes armes qu’eux.’ L’islam est favorable à la force quand celle-ci se met au service de la vérité, des préceptes religieux et de l’honneur. La loi islamique établit que toutes les puissances agressives et despotiques doivent être éradiquées. Il faut les combattre, quelle que soit leur puissance, car c’est Allah qui décide de la vie. Israël, qui détient l’arme atomique, sera le premier Etat condamné, car il se trouve dans un monde qui ne craint pas la mort. Les armes nucléaires israéliennes ne nous impressionnent pas. Ce qui nous inquiète, c’est que nous puissions ne pas nous réveiller et progresser. Soyez favorables à l’énergie nucléaire au service de la paix ! » [2]
L’appui de l’université Al-Azhar au développement d’armes nucléaires à fait les gros titres. Cet appui est consécutif à l’affichage d’une fatwa du Comité des décisionnaires religieux d’Al-Azhar sur le site Islam online. Le décret affirme que le développement d’armes nucléaires est un « devoir religieux ». [3] Le cheik Ali Abou Al-Hassan, chef du Comité, s’explique dans le quotidien koweïtien Al-Raï al-Aam : « …Les musulmans doivent acquérir toutes sortes d’armes, pas uniquement nucléaires. Je me réfère aux paroles d’Allah, qui nous exhortent à asseoir notre puissance : ‘Mobilisez contre eux toute votre puissance armée et envoyez des détachements à la frontière pour effrayer l’ennemi d’Allah et le vôtre…’
La situation internationale actuelle confirme la nécessité d’une telle fatwa, d’autant plus qu’Israël et tous les ennemis de la nation islamique détiennent cette arme. L’arme nucléaire de la nation islamique devra être utilisée pour nous défendre et afficher notre force, afin de dissuader ceux qui convoiteraient la région. Ce que subissent aujourd’hui les musulmans à travers le monde résulte de leur faiblesse ; si les musulmans disposaient de cette arme, nul ne comploterait contre eux… Quand le ministre coréen de la Défense a menacé les Etats-Unis d’une offensive nucléaire, la peur s’est inscrite sur le visage des dirigeants américains, qui sont entrés en négociation avec les Coréens. L’obtention d’armes nucléaires est une obligation religieuse, et celui qui y renonce est un pécheur, selon la loi religieuse. Se préparer à affronter l’ennemi et mobiliser tous les moyens possibles à la défense de la terre et de l’honneur devraient être considérés comme un devoir religieux.
Les religieux s’accordent sur le fait qu’un dirigeant musulman qui ne se prépare pas et ne se renforce pas face à l’ennemi est un pécheur. L’islam encourage la force, non dans une optique offensive mais défensive. Le monde et les relations sont aujourd’hui régies par la logique de la force, non par la loi ou la moralité… S’il est nécessaire pour les musulmans de détenir les outils de la force, le premier d’entre eux étant l’arme nucléaire, il l’est aussi de s’en servir dans l’éventualité où les autres en feraient autant. Israël pointe ses missiles nucléaires en direction des capitales arabes, suscitant la peur. C’est la raison de la faiblesse de la nation islamique et de l’offensive qui l’attend. La situation serait différente si les musulmans cherchaient à acquérir toutes les armes possibles, y compris l’arme nucléaire. »
Le cheik Abou Al-Hassan s’est élevé contre l’argument qui veut que certaines armes soient légitimes et d’autres pas, précisant : « Certains détiennent des armes nucléaires, chimiques et autres. Se peut-il qu’ils y aient droit et nous pas ?! Les lois internationales érigées dans le but de les limiter ne sont destinées qu’aux pays faibles, pas aux pays forts et puissants. » [4]
Le cheik Abou Al-Hassan a ajouté que « si une nation possède une arme, qu’il s’agisse d’une nation amie ou hostile, les musulmans se doivent de l’acquérir aussi, elle ou une arme plus puissante ; tous les religieux sont d’accord sur ce point. » [5]
Le cheik égyptien Youssuf Al-Qaradhawi, l’un des dirigeants des Frères musulmans résidant actuellement au Qatar, dont les décrets religieux jouissent d’une forte popularité en Egypte et dans le monde arabe sunnite, s’est lui aussi déclaré favorable à l’acquisition de l’arme nucléaire. Dans un sermon du vendredi diffusé sur la télévision du Qatar, le cheik Al-Qaradhawi a déclaré : « Je suis de l’avis que les musulmans doivent obtenir l’arme [nucléaire], mais non l’utiliser. Nous devons acquérir cette arme, mais il est interdit de s’en servir, car c’est une arme de dissuasion, et ‘par elle tu pourras intimider l’ennemi d’Allah et ton ennemi.’ C’est ce qui s’appelle la paix armée : la possibilité de dissuader et d’effrayer l’ennemi, le privant de la possibilité d’attaquer. » [6]
Le site Islam online, qui a amplement débattu du problème nucléaire, a également affiché des déclarations de religieux musulmans opposés à l’armement nucléaire, sous le titre : « Les autorités islamiques contre l’usage de l’arme nucléaire ». Une lecture attentive révèle toutefois que les deux « autorités religieuses » en question ne sont autres que deux guides musulmans établis aux Etats-Unis. Le Dr Muzammil Siddiqi, ancien directeur de la société islamique d’Amérique du Nord, assure : « L’islam n’a pas précisé quel type d’armes nous devons utiliser, l’épée ou le canon. Mais il s’oppose à l’emploi d’armes de destruction massive, car l’islam nous enseigne que même en temps de guerre, nous n’avons pas le droit d’attaquer des civils ou des personnes paisibles qui ne s’en prennent pas aux musulmans. L’islam nous défend d’attaquer ou de tuer des animaux, de détruire des récoltes et de porter atteinte aux sources, car Allah punit ceux qui répandent la corruption sur la surface de la terre, ceux qui détruisent la végétation et la progéniture de l’homme. Nous devons nous souvenir que ce ne sont pas les musulmans qui ont inventé les armes de destruction massive et en ont muni le monde. Il n’existe aujourd’hui pas moins de 50 000 bombes atomiques et toutes se trouvent entre les mains de non-musulmans. » [7]
Taha Jaber al-Alwani, président du conseil du Fiqh en Amérique d Nord, ajoute : « L’islam considère tous les hommes comme une seule et même famille : leur Dieu est Un et ils descendent tous du même père et de la même mère. Ainsi, quand une dispute éclate entre les membres de la famille, chacun doit s’efforcer de régler le problème de la meilleure façon possible. Les armes de destruction massive – nucléaires, chimiques et autres – ne doivent pas être utilisées contre des membres de la famille, parce que de telles armes ne savent pas distinguer entre coupables et innocents. » [8]
Les voix qui se sont élevées contre les vues d’Al-Azhar et du cheik Qaradhawi se limitent toutefois au sol américain. Le cheik Youssuf Mawlawi lui-même, vice-président du Conseil européen du Fiqh, a déclaré : « Si l’ennemi a recours à ce type d’armes et porte atteinte à des musulmans non-combattants, nous sommes en droit de lui infliger un traitement similaire, jusqu’à ce qu’il renonce à ces armes. Le principe de représailles adaptées est conforme au droit international. » [9]
Les journalistes
On trouve aussi des partisans de l’option nucléaire parmi les journalistes de la presse égyptienne officielle. Suite aux essais nucléaires de l’Inde et du Pakistan, Salameh Ahmed Salameh, chroniqueur pour le quotidien égyptien officiel Al-Ahram, écrit : « … Les derniers développements obligent l’ensemble de la région arabe à sortir de la nonchalance générale qui a dominé notre approche nucléaire. Nous ne pouvons plus nous permettre cette vision négative du problème : nous devons adopter une position plus courageuse et décisive. Il ne suffit plus d’appeler à l’élimination des armes de destruction massive au Moyen-Orient. » [10]
Makram Mohammed Ahmed, rédacteur en chef de l’hebdomadaire officiel Al-Musawwar, écrit, dans un article sur les préparatifs de la guerre contre l’Irak : « C’est le droit de chaque Egyptien de demander à son gouvernement pourquoi il continue de respecter le TNP : en effet, les signatures du Caire et des autres capitales arabes entraient dans le cadre d’un accord global qui engageait les Etats-Unis à obliger Israël à adhérer également. Malheureusement, depuis que les deux capitales arabes restantes, Oman et Djibouti, ont signé le traité, en 1995, Washington a oublié tous ses précédents engagements, ce qui est perçu comme une tromperie par plusieurs Etats arabes… Les soupçons portant sur les intentions de Washington ont été renforcés par l’exploitation de la dernière crise irakienne, les Américains ayant délibérément omis dans l’introduction de la Résolution 1441… une clause… soulignant que le désarmement irakien devait participer d’un processus de désarmement global au Moyen-Orient… S’ajoute à cela l’insistance américaine, encore plus forte ces derniers temps, pour que l’Egypte signe [le traité] de non-prolifération des armes chimiques et biologiques, ce que le Caire a refusé de faire, expliquant que la dissuasion biologique était nécessaire face à l’armement nucléaire d’Israël. » Al-Qods Al-Arabi, quotidien édité en arabe à Londres, ajoute le commentaire suivant : « Les deux personnalités qui connaissent assurément le mieux la position du président égyptien sur les questions politiques délicates sont Ibrahim Nafie [directeur d’Al-Ahram] et notre ami Makram Mohammed Ahmed. » [11]
Sur le sujet, un éditorial d’Al-Ahramestime : « Si Israël n’adhère pas au TNP, et s’il n’est pas soumis aux inspections…, les pays de la région seront encouragés à acquérir l’arme nucléaire, afin de rectifier l’équilibre de la peur et de dissuader Israël d’avoir recours à l’arme atomique… Cette arme est un mal ; mais l’exemple de l’Inde et du Pakistan prouve que si certains pays de la région détiennent cette arme malfaisante, un équilibre de la peur se forme, lequel conduit à la paix. » [12]
Mohammed Mustafa Al-Arafi explique, également dans Al-Ahram, que « l’anarchie dans le domaine de la technologie [nucléaire], consécutive à l’effondrement de l’URSS, a permis à de nouvelles puissances régionales d’obtenir des armes nucléaires de dissuasion – ce qui pourrait causer du tort au statut régional de l’Egypte. » Al-Arafi suggère de progresser dans le domaine nucléaire sans toutefois aller jusqu’à produire l’arme nucléaire, à moins que celle-ci ne devienne une nécessité. [13]
Le point de vue du journaliste Wahid Abd El-Magid, chercheur de longue date au centre Al-Ahram d’études stratégiques, mérite d’être relevé. Abd El-Magid n’appartient pas au lobby nucléaire mais a écrit un article sur le sujet, en 1995, dans le semestriel Al-Siyassa Al-Dawaliya, publié par l’Institut Al-Ahram, où il souligne que : « La capacité iranienne à développer des têtes nucléaires serait une menace pour les Arabes avant d’en être une pour Israël. » [14]
* Yotam Feldner est directeur des analyses de médias de MEMRI
[1] Il est intéressant de constater que ces dernières volontés sont généralement utilisées pour prouver que l’islam cherche à éviter d’atteindre les civils en temps de guerre.
[2] http://www.islamonline.net/iol-arabic/dowalia/alhadath-17-11/alhadath2.asp, le 17 novembre 1999. Pour plus de renseignements sur cette conférence, voir la Dépêche Spéciale n°59 de MEMRI (disponible en anglais)
[3] http://www.islamonline.net/Arabic/news/2002-12/23/article06.shtml.
[4] Al-Rai Al-‘Aam (Kuwait), le 27 décembre 2002.
[5] http://www.islamonline.net/completesearch/arabic/mDetails.asp?hMagazineID=45203, le 23 décembre 2002.
[6] Télévision du Qatar, le 18 octobre 2002.
[7] http://www.islamonline.net/completesearch/arabic/mDetails.asp?hMagazineID=45279, le 25 décembre 2002.
[8] http://www.islamonline.net/completesearch/arabic/mDetails.asp?hMagazineID=45279, le 25 décembre 2002.
[9] http://www.islamonline.net/completesearch/arabic/mdetails.asp?hMagazineID=45203, le 23 décembre 2002.
[10] Al-Ahram Weekly (Egypte), le 4 juin 1998.
[11] Al-Qods Al-Arabi (Egypte), le 16 janvier 2003. Citation tirée de Al-Musawwar (Egypte), le 15 janvier 2003.
[12] Al-Ahram (Egypte), le 22 octobre 1998.
[13] Al-Ahram (Egypte), le 6 février 1999.
[14] Al-Siyassa Al-Dawliya (Egypte), avril 1995.