Dans une série d’articles publiés par Al-Ahram, le conseiller du président Moubarak pour les Affaires politiques condamne les mythes antisémites, accuse l’Europe d’antisémitisme, explique que le sionisme est la racine du conflit opposant Juifs et Arabes, et propose des moyens d’améliorer la situation.
Ces derniers temps, les Etats arabes se sont trouvés contraints de répondre à l’accusation selon laquelle les médias arabes offrent une tribune à l’antisémitisme. Les dirigeants et intellectuels arabes ont pour la plupart démenti cet état de fait, affirmant qu’il s’agissait là d’une tentative du « lobby sioniste » américain et des organisations juives européennes de réduire au silence ceux qui critiquent bien légitimement Israël et le sionisme. Ce point de vue est résumé par Ibrahim Nafie, directeur du quotidien égyptien officiel Al-Ahram. Ibrahim Nafie a été assigné en 2002 pour antisémitisme, après la publication dans le quotidien d’un article diffamatoire sur les pratiques juives. [1] Nafie écrit: « Bien que l’article entre dans le cadre de la critique de la politique israélienne vis-à-vis du peuple palestinien, l’Association juive française [sic] a porté plainte en France contre Al-Ahram, prétendant que cet article entrait dans la catégorie des ‘actes antisémites’… Cela n’est rien de plus que du terrorisme intellectuel, une tentative de limitation de la liberté de la presse égyptienne et arabe.' » Nafie a appelé l’élite politique et intellectuelle en Egypte et dans le monde arabe à soutenir sa position.
D’autres réactions, moins nombreuses, consistent à informer le public arabe de la fausseté des mythes antisémites publiés dans les médias arabes. Seuls quelques intellectuels ont adopté cette approche.
Suite aux vives critiques adressées aux Etats arabes par l’Administration américaine, le Congrès et la presse, face à la diffusion de la série télévisée égyptienne antisémite « Cavalier sans monture » – critiques auxquelles le président Moubarak a tenu à réagir personnellement -, les condamnations de l’antisémitisme sont devenues plus fréquentes, la plus importante ayant été formulée par le conseiller du président Moubarakpour les Affaires politiques : Ossama El-Baz.
Dans trois articles parus dans Al-Ahram, El-Baz analyse les raisons de l’ampleur du phénomène antisémite, déclarant que l’Europe est responsable de son développement, ce phénomène étant, d’après lui, étranger au monde arabe et à l’islam. Il qualifie ensuite de mensongers certains ouvrages antisémites renommés, tel le Protocole des Sages de Sion et les récits diffamatoires portant sur la consommation de sang humain par les Juifs. Il explique en outre aux lecteurs qui seraient de l’opinion que les Arabes ne peuvent logiquement être antisémites, eux-mêmes étant sémites, que le terme « antisémite » se réfère exclusivement aux sentiments anti-juifs. Il exhorte les Arabes à reconnaître l’holocauste et à rejeter le nazisme, précisant que les Juifs ne doivent pas être considérés comme un groupe homogène – vision qui encourage le racisme et la haine à leur égard. El-Baz conclut en rejetant la responsabilité du conflit opposant Juifs et Arabes sur le sionisme. Il finit par quelques phrases appelant Arabes et Juifs à améliorer leurs relations.
Les trois articles d’El-Baz sont affichés en anglais sur Al-Ahram Weekly Online, [2] et ont également été diffusés par l’ambassade d’Egypte à Washington, D.C. En voici quelques extraits:
« … Un autre aspect du caractère irrationnel de l’esprit européen est son attitude passée envers les Juifs, aussi bien en tant que groupe qu’individus. Les Juifs étaient [considérés comme] inférieurs à cause de leur ‘différence’ religieuse, physique et comportementale. Ce sont précisément ces différences qui ont constitué des prétextes à l’intimidation, la persécution et, comme c’est arrivé, l’extermination de populations entières. La peur et la haine à l’encontre des Juifs étaient répandues dans toute l’Europe, culminant dans les pogroms russes et, plus tard, dans l’holocauste nazi.
… Le terme ‘antisémite’ a d’abord été utilisé en 1873 en Allemagne, par WilhelmMarr. Par la suite, certains intellectuels européens ont différencié entre sentiments ‘anti-juifs’ et ‘antisémites’.
Le premier terme se réfère, selon eux, à des préjugés de nature purement religieuse, dus au fait que les Juifs ne reconnaissent pas Jésus Christ comme étant le messie et nient toute responsabilité quant à sa crucifixion. Parallèlement, l’antisémitisme est dirigé contre un groupe humain précis, dont on estime que ces membres possèdent en commun certaines caractéristiques physiques et comportementales sans lien direct avec une quelconque appartenance religieuse. Le second terme se réfère donc à une haine des Juifs basée sur des préjugés d’ordre racial et ethnique, et comporte une connotation laïque. Cette distinction implique que l »anti-judaïsme’ prend fin avec la conversion des Juifs au christianisme tandis que l’antisémitisme, concept fondamentalement raciste, poursuit indéfiniment sa victime, sans rapport avec la religion.
Vu que l’antisémitisme est un concept laïque, ses partisans ont éprouvé le besoin de données tangibles pour appuyer leur théorie. Parmi les ‘données’ les plus répandues se trouve le fameux Protocole des Sages de Sion et les récits portant sur l’introduction de sang chrétien dans la matza juive. Bien que ces rumeurs n’aient jamais été confirmées, leur fréquence a alimenté la haine et la peur vis-à-vis des Juifs… »
El-Baz explique ensuite pourquoi il est peu vraisemblable que les Juifs soient à l’origine des protocoles, affirmant notamment qu’aucun mot n’y figure en hébreu ni en yiddish, alors que les auteurs sont censés être des rabbins. El-Baz précise en outre que nul ne tiendrait les propos suivants sur lui-même: « Grâce à la presse, nous avons accumulé de l’or et peu nous importe que cela ait fait couler des rivières de sang. » Il évoque ensuite l’origine des récits diffamatoires sur la consommation de sang par les Juifs, puis le nazisme, accusant certains auteurs arabes de sympathies nazies, « bien qu’il [le nazisme] soit étranger aux pratiques et croyances des peuples arabes et musulmans. »
Mentionnant le nationalisme arabe, El-Baz souligne: « Le nationalisme arabe n’a jamais été anti-juif. Il n’a pas de fondements ethniques ou religieux. En revanche, il se base sur l’existence d’une langue commune, une culture et des intérêts communs à tous les peuples arabophones. Son but était d’unifier ces peuples, de mobiliser leur énergie morale et matérielle à la défense de leurs intérêts vitaux, l’expulsion de l »ennemi colonialiste’ et le rétablissement de la liberté et la dignité… »
Le conseiller politique s’étend ensuite sur la tolérance comme composante essentielle de l’islam, soulignant que l’islam est un prolongement de la tradition judéo-chrétienne, et rappelant que les trois religions monothéistes ont coexisté harmonieusement au début de l’empire islamique, au cours de l’ère omeyade, puis abbasside, jusqu’à la fin de l’empire ottoman. Il estime que l’esprit de fraternité qui prévalait entre Arabes et musulmans d’une part et Juifs d’autre part, s’est affaibli avec la création de l’Etat d’Israël. Les « méthodes brutales » d’Israël sont désignées, ainsi que l’amalgame qui a alors été formé entre Juifs et Israéliens. L’auteur mentionne ensuite le problème de coexistence posé par les partisans du Grand Israël – allant du Nil à l’Euphrate – dont les aspirations ont inquiété les pays voisins. Il dénonce en outre la discrimination que subissent les citoyens arabes en Israël, précisant à titre d’exemple que ces derniers sont dispensés du service militaire et de certains droits civiques.
El-Baz termine son article par un certain nombre de conseils aux deux parties: Arabes et musulmans d’une part, Israéliens de l’autre. Aux premiers, il demande de ne pas avoir recours à la théorie du complot et de ne pas se rallier aux théories nazies. Il rappelle que les Juifs ne forment pas une entité homogène, citant des personnalités juives qui ont condamné la politique d’Israël (le rabbin anglais Jonathan Sachs, le rabbin américain Elmer Berger, aujourd’hui disparu, Naom Chomsky, Henry Seigmann et Anthony Louis). Il rappelle que les sympathies pro-israéliennes des Juifs dans le monde émanent fréquemment de leur souci de sécurité, ces derniers représentant une minorité victime dans le passé de la persécution nazie.
Suivent les conseils prodigués à Israël: El-Baz estime qu’Israël devrait se redéfinir comme « un Etat pour tous ses citoyens » plutôt que comme « un Etat juif démocratique ». Israël devrait en outre « cesser de répéter que les Arabes veulent le ‘jeter à la mer’… Israël doit mettre un terme à la création de nouvelles implantations, ainsi qu’au développement des implantations déjà établies…Israël doit cesser de justifier ses attaques contre les Arabes et les musulmans par le combat contre le terrorisme…Israël doit cesser d’agir comme s’il cherchait à nuire aux intérêts arabes et musulmans… Les Israéliens et les sionistes en général devraient arrêter de qualifier d’antisémites tous ceux qui critiquent Israël… Israël doit reconnaître que les Arabes ont raison d’exiger la fin de l’occupation israélienne de leur territoire… Israël doit reconnaître que la création de l’Etat d’Israël ne sera pas entièrement légitime tant que ce dernier fuira ses obligations légales et morales, empêchant la création d’un Etat pour le peuple palestinien… Israël devrait démettre de leurs fonctions les responsables qui incitent à la haine raciale envers les Arabes et adoptent la notion de ‘transfert’… Israël devrait remettre une déclaration officielle aux Nations unies, dans laquelle il décréterait ne pas avoir de projets expansionnistes… Israël devrait répondre à l’appel du président Moubarak pour un Moyen-Orient dépourvu d’armes de destruction massive… »
El-Baz conclut en ces termes: « Je crois qu’il est dans l’intérêt de tous de surmonter la rancœur accumulée au fil des ans et les souffrances actuelles, et de ne pas céder à la culture du désespoir. Nous devons porter nos regards vers un avenir meilleur, où tous pourront vivre en paix et en sécurité, au lieu de rester enfermés dans le cycle du sang, de la destruction et des occasions manquées.' »
[1] Voir l’Enquête et analyse 107 de MEMRI
[2] Al-Ahram Weekly Online: 2-8 janvier (n° 619) http://weekly.ahram.org.eg/2003/619/focus.htm.