Le 6 novembre 2002, quelques chaînes télévisées arabes ont diffusé le premier épisode d’un feuilleton en 41 parties intitulé : » Chevalier sans monture » qui se fonde sur le Protocole des sages de Sion.
Sa diffusion est prévue sur la télévision égyptienne officielle, la chaîne égyptienne » Rêve « , la télévision irakienne officielle ainsi que la chaîne Al-Manar du Hezbollah. [1] [2]
La série, produite par Mohammed Sobhi (qui en est l’acteur principal), devait être diffusée l’année dernière pendant le Ramadan, mais n’ayant pas été achevée à temps, elle n’est diffusée que cette année. La série a provoqué des réactions de protestation en Occident, le Département d’Etat américain ayant même appelé le gouvernement égyptien à en empêcher la diffusion – requête qui a été écartée par Safwat Al-Sharif, ministre égyptien de l’Information. Al-Sharq al-Awsat rapporte que le ministre a pris sa décision après avoir visionné tous les épisodes faisant référence au Protocole. [3]
La série a déclenché un chaud débat dans la presse arabe, plus particulièrement égyptienne. La plupart des écrivains ont soutenu la diffusion de la série ; certains ont toutefois critiqué l’intérêt obsessionnel porté par les Egyptiens aux récits antisémites.
La série a été visionnée et approuvée pour diffusion par le comité de censure égyptien. Un comité affilié à l’Association pour la radio et la télévision égyptiennes a qualifié la série de » jalon dans l’histoire de la dramaturgie arabe « . Le ministre égyptien de l’Information a affirmé pour sa part que » les opinions fortes exprimées dans cette série ne contiennent aucun élément antisémite. »
Le chroniquer Mark Sayegh : Et si Israël en avait fait autant?
Mark Sayegh, journaliste opposé à la diffusion de la série, exprime son désaccord de façon originale dans sa chronique hebdomadaire au Al-Hayat, quotidien arabe édité à Londres. Dans un article intitulé » Les Protocoles des anciens Arabes : Egypte, en voilà assez ! « , M. Sayegh inverse la situation, imaginant la diffusion, sur la télévision israélienne, d’une émission portant sur un » complot arabe » pour dominer le monde : » Dans une ambiance de secret, la télévision israélienne a entrepris de produire une série devant être diffusée sur sa télévision et les chaînes américaines pendant le mois prochain, mois de Yom Kippour. Le contenu de cette série est inquiétant : le scénariste prétend que les Juifs d’Alep lui ont confié un document dont nul n’a jamais entendu parler… (ce document affirmerait que) pendant les années 20, après la chute du royaume arabe et la fin du rêve d’une unité arabe, il s’est tenu à Alep une réunion des représentants de toutes les régions arabes, en réaction à la cruauté de l’attaque impérialiste cherchant le contrôle du monde par les Arabes…
D’après la série israélienne, en 80 ans, les Arabes ont réussi à encourager l’émigration en s’imposant à la société européenne, plaçant certains ministres dans les gouvernements français et des membres du Parlement des autres pays européens, forçant des pays comme la France à adopter une politique arabe…
Le représentant libanais envoyé à la réunion d’Alep était un fermier, vu que l’élite libanaise de l’époque s’occupait de francophonie. [4] Ce fermier libanais, originaire de la vallée de Biqa, a affirmé, de la façon la plus naturelle, qu’il envisageait de déraciner les arbres et de planter du hashish (à la place), puis d’inonder le marché de l’entité sioniste et des pays colonialistes du hashish, afin de les assujettir à la volonté des Arabes au cours d’une phase ultérieure…
Bien entendu, une controverse est née dans les milieu cultivé israélien sur l’authenticité de ce » document » et le racisme de ses affirmations. Un certain nombre de Juifs d’Alep a mis en cause l’authenticité du rapport. Mais le professeur israélien Mustahiq Mabdaï a résumé le débat comme suit : ‘Je ne sais si ce document est une invention où s’il est authentique, mais ce qui est sûr, c’est que les dirigeants arabes ont (effectivement) tenté d’en exécuter les grandes lignes.’ »
» Evidemment, cette histoire n’est que pure fiction « , écrit Mark, ajoutant : » Les intellectuels et artistes israéliens, qui sont allés aussi loin que possible dans la violation des droits des Palestiniens, n’ont pas atteint le niveau de stupidité (car qui pourrait l’atteindre ?) de certains de nos intellectuels et artistes. La semaine prochaine, pendant le mois de Ramadan, la télévision égyptienne entreprendra de diffuser » Chevalier sans monture « , qui se base sur le faux historique intitulé Protocole des sages de Sion… La vérité historique n’intéresse pas toute l’ ‘élite’ arabe et égyptienne. Par exemple, au lieu d’exiger que leur gouvernement annule l’accord de paix avec Israël – accord qui s’est révélé un succès pendant un quart de siècle – , certains artistes du Caire se tournent vers les tambours, les micros et l’imbécillité des médias qui exacerbe le problème palestinien.
L’acteur principal de la série, Mohammed Dubhi, s’est empressé d’expliquer que le ‘traitement théâtral du Protocole des Sages de Sion est artistique !’ Artistique, tout autant que la symphonie ‘Je hais Israël’, de Ludwig Shaaban, responsable du stand de repassage. [5] Egypte, en voilà assez ! » [6]
Le chroniqueur Ibrahim Al-Arabi : le public arabe musulman est pris dans le 19ème siècle
Dans la rubrique cinéma d’Al-Hayat, Ibrahim Al-Arabi s’élève également contre la diffusion de la série : » … Au moyen de cette série, l’aspect artistique de la télévision arabe est devenu le cœur d’un débat sans fin, qui nous ramène cent cinquante ans en arrière, à cause de ce livre, dont on sait aujourd’hui qu’il est un faux de la police secrète du Tsar, forgé pour justifier les attaques contre les Juifs russes. Cet ouvrage a servi aux régimes fascistes et racistes à justifier la persécution des Juifs – avec des conséquences plus catastrophiques pour les Arabes que pour les Juifs, vu que cela a découché sur un débat politico-historique soutenant l’idée d’un ‘foyer national juif’ et la création de (l’Etat d’) Israël…
Pendant des mois, les personnes conscientes de ce qui les entoure en Egypte discutent de ce projet. Certains disent que l’essentiel du soutien accordé au projet de Mohammed Sobhi provient du président irakien Saddam Hussein en personne, comme si le tort qu’il avait causé aux Arabes ne suffisait pas : il tend maintenant un piège à l’Egypte, ses artistes et sa réputation dans le monde… » [7]
La presse égyptienne officielle : La série se base sur une « histoire vraie »
La presse égyptienne a adopté l’approche contraire. Le directeur du quotidien égyptien officiel Al-Akhbar, Gala Duweidar, écrit : » Au nom de notre foi en la démocratie, qui se fonde sur les valeurs et les principes de la démocratie, nous devons réagir à l’attaque barbare dont sont victimes l’art égyptien et arabe… Sous couvert de tromperie, les nouveaux sionistes nient, tout comme leurs pères et grand-pères (avant eux), les principes appelant à la liberté d’expression à chaque fois qu’ils entrent en conflit avec leurs propres objectifs et complots. Cela n’est en rien inhabituel quand il s’agit de parler d’eux (les Juifs), vu qu’ils ont même nié le contenu des saintes écritures (islamiques) !!
Thomas Friedman, l’agent sioniste muni d’une identité israélienne et d’une citoyenneté américaine, a poursuivi son attaque hostile, répugnante contre l’Egypte pour le compte des objectifs agressifs d’Israël, condamnant, dans un article du New York Times, l’intention de la télévision égyptienne de diffuser cette série pendant le mois du Ramadan. (Il) prétend qu’elle porte sur un complot sioniste pour prendre possession du territoire arabe – ce qui est un fait. Il a attaque la série, ignorant qu’il remettait en question des écrits scientifiques se basant sur des faits historiques. Il a ensuite accusé les dirigeants égyptiens de propager la haine des Juifs… Ce méprisable Friedman n’a pas trouvé d’arme avec laquelle narguer les Egyptiens et les Arabes si ce n’est l’arme de l’extorsion et de la terreur basée sur la l’accusation de l’antisémitisme… [8]
Sanaa Fath Allah, journaliste d’Al-Akhbar, s’est insurgée contre le fait que le Congrès américain ne se soit pas » opposé à la pièce Mama America (une pièce de Muhammad Sobhi datant de 1993 opposée à l’hégémonie américaine dans le monde, dans laquelle la statue de la liberté est brisée) et qu’il s’oppose par contre (à la série Chevalier sans monture) parce qu’elle concerne l’histoire des Juifs…
Fath Allah a loué (le travail de) Sobhi, espérant que le djihad continuerait de toutes les façons possibles : » Nous avons besoin d’un artiste comme Sobhi… Hommages à cette série éclairante » [9]
Entretiens avec le producteur de la série
Dans une interview, le producteur Mohammed Sobhi révèle à l’hebdomadaire égyptien d’opposition Al-Usbou : » La série évoque une partie de notre histoire dans la région et ce que les Juifs ont fait… Ce travail est sans rapport avec la religion juive et n’encourage pas à verser le sang et tuer. Le fait est que cette série condamne le terrorisme… Mon message au monde est que la religion islamique interdit de tuer des innocents, des femmes et des enfants, mais ne nous empêche pas de mener le djihad et de nous battre pour récupérer la terre… » [10]
Dans un entretien d’Al-Gumhouriya, quotidien égyptien officiel, Sobhi ajoute : » La série n’a aucun lien avec le sémitisme et ne concerne aucune religion. Le comité de censure la visionnée plus d’une fois et l’a approuvée. Ils en ont même fait l’éloge, fait sans précédent depuis vingt ans. Je ne sais pas pourquoi ils craignent une série dont aucune scène n’a été censurée… S’ils soutiennent que la série est antisémite est encourage le terrorisme…, qu’auront-ils à répondre aux dignitaires religieux parmi eux qui maudissent l’islam ? [11]
Après son retour de Bagdad, où il s’est rendu en observateur du référendum qui a valu à Saddam Hussein 100% des voies, Sobhi a déclaré qu’il n’était pas intéressé par les protestations d’Israël et pas touché pas leurs » hurlements hystériques… dus au fait que je révèle le Protocole des sages de Sion et que je les considère comme l’un des fondements du sionisme. » Je trouve que les mémoires de Hafez Najib (sur lesquels se base la série) constituent un sol fertile pour un travail qui révélera ces Protocoles… Ils (les Juifs) n’acceptent aucun critique, surtout quand celles-ci viennent d’Arabes. Ils savent bien que débattre du Protocole des Sages de Sion révèlera leur véritable visage raciste, leurs intentions expansionnistes et leur objection à toute forme de paix. [12]
Côté palestinien: regarder la série est un devoir pan-arabe
La série a fait l’objet d’un certain nombres de critiques au sein des cercles palestiniens, mais celles-ci se rapportent en fait à la façon dont les médias arabes ont accordé aux régimes arabes une façon de simuler le soutien aux Palestiniens. Hafez Al-Barghouti, directeur du quotidien Al-Hayat Al-Jadida, de l’Autorité Palestinienne, écrit : » … Cette série représente une tentative pour anesthésier, ou pour soupirer de soulagement, parce que le citoyen arabe réprimé, à qui l’on interdit d’exprimer sa solidarité aux Palestiniens abattus, sentira qu’il remplit son devoir de panarabe en sacrifiant une heure de son temps par jour à regarder le petit écran, et peut se détendre car son tour n’est pas encore venu d’être massacré, selon l’agenda de Washington et de ses annexes arabe ; les capitales arabes figurent aussi sur l’agenda du massacre… » [13]
Diffusion du Premier épisode
La diffusion de la série a débuté le 6 novembre. Le Premier épisode commence par un rappel de la défaite arabe/ palestinienne de 1948 due aux » enfants de Tsion, qui se sont emparés de (la terre) pas traîtrise. » L’explication, lit-on, se trouve dans le passé. Elle commence avec l’histoire de l’enlèvement d’une petite fille de cinq ans en 1855 au Caire par le pasha turc, qui garde l’enfant chez lui en dépit des objections de sa femme et de sa fille (vu que sa femme n’a enfanté que des filles). Le garçon enlevé, Hafez Nagib, est la personne sur les mémoires de qui la série se base.
[1] Selon le quotidien londonien de langue arabe Al-Sharq al-Awsat, six autres pays arabes ont décidé de ne pas diffuser la série comme il avait été prévu de le faire, afin d’éviter d’envenimer les relations avec les Etats-Unis. Voir la Dépêche spéciale n°309 de MEMRI, – décembre 2001.
[2] Al-Sharq al-Awsat (Londres), le 3 novembre, 2002
[3] Al-Sharq al-Awsat (Londres), le 1er novembre, 2002
[4] Référence sarcastique au sommet francophone de Beyrouth (2002)
[5] Référence sarcastique au chanteur égyptien Shaaban Abd El-Rahim, auteur de la chanson populaire : » Je hais Israël, j’aime Amr Moussa »
[6] Al-Hayat (Londres), le 3 novembre 2002
[7] Al-Hayat (Londres), le 1er novembre 2002
[8] Al-Akhbar (Egypte), le 3 novembre 2002
[9] Al-Akhbar (Egypte), le 4 novembre 2002
[10] Al-Usbou (Egypte), le 4 novembre 2002
[11] Al-Gumhoutiya (Egypte), le 2 novembre 2002
[12] Al-Sharq al-Awsat (Londres), le 1er novembre 2002
[13] Al-Hayat al-Jadida (Autorité Palestinienne), le 3 novembre 2002