Introduction
Avec l’intensification de la controverse sur l’avenir du régime de Saddam Hussein, la presse arabe a publié une quantité d’articles sur les avantages et les inconvénients d’une intervention extérieure visant à provoquer la chute du président irakien et les conséquences de cette dernière sur l’ordre établi en Irak, dans la région et dans le monde. Voici quelques réactions de l’opposition irakienne face à l’éventualité d’une intervention américaine, ainsi que sa conception d’un Irak post-Saddam.
Les principes clé de l’opposition irakienne
Dans une interview du quotidien arabe Al-Hayat, publié à Londres, le Dr Ahmed Chalabi, directeur du Congrès national irakien, (parapluie de différents groupes d’opposition irakiens en exil) résume les quatre principaux objectifs de l’opposition irakienne :
- La création d’un gouvernement parlementaire démocratique pour le respect des droits de l’homme, favorable à un régime fédéral.
- La mise en place d’un régime où le recours à la force serait illégal dans la résolution des conflits internes.
- Le refus du recours aux armes et à l’agression dans les relations avec les pays voisins.
- L’adoption d’une politique de non-acquisition d’armes de destruction massive.
Pour M. Chalabi, le rôle des Etats-Unis en Irak devrait s’apparenter à celui joué en Allemagne et au Japon après la deuxième guerre mondiale : il devrait permettre de conduire à la » dé-Saddamisation » du pays et à la création d’institutions démocratiques. [1]
La situation militaire après un éventuel changement de régime
La condition, le rôle et l’organisation de l’armée dans un Irak post-Saddam font plancher de nombreux écrivains. Abd El-Halim Al-Ruhaimi, écrivain irakien résidant à Londres, a rédigé un article analytique adoptant le point de vue d’un non-militaire, intitulé : » L’armée irakienne après un changement de régime « . En juillet dernier, l’article a fait l’objet d’un débat dans une réunion à Londres rassemblant les chefs militaires de l’opposition irakienne. Al-Ruhaimi distingue entre le rôle de l’armée dans une phase de transition et dans la phase suivante, ou long terme.
La première étape, ou étape transitoire, serait fortement tributaire des méthodes utilisée pour opérer un changement de régime. L’auteur considère les possibilités suivantes : une révolte au palais (qu’il écarte à cause de sa faible probabilité) ; un coup d’Etat militaire ou une mutinerie appuyée par un soulèvement populaire ; un soulèvement populaire soutenu par des mutineries d’unités de l’armée ou même de la Garde républicaine ainsi que de certaines agences de sécurité, et appuyé par les Etats-Unis. Un gouvernement allant dans le sens du soulèvement serait peu enclin à faire jouer un rôle à l’establishment militaire, sans parler de le réformer. L’auteur envisage toutefois l’éventualité de pressions internes et externes susceptibles d’encourager un gouvernement de transition à réformer l’establishment militaire et entamer le passage à un régime démocratique.
Lors de la seconde phase, ou phase stratégique, la réforme devrait se focaliser sur le maintien d’une force de défense pour protéger le pays. L’auteur recommande l’introduction d’une clause constitutionnelle supplémentaire qui rendrait illégale le développement et l’utilisation d’armes de destruction massive. Il reconnaît toutefois que la » culture militaire » instaurée par Saddam ne permettrait pas une mise en place facile de ces réformes sans l’intervention d’une force extérieure. [2]
Un signe d’espoir pour l’avenir : le code d’honneur adopté par les officiers de l’armée irakienne en exil pendant la réunion de deux jours à Londres en juillet de cette année. Il contient dix clauses qui reflètent une bonne partie des propos de Chalabi dans son interview mentionnée plus haut. Le seul ajout significatif aux objectifs clé de M. Chalabi est l’engagement des officiers à se plier à la décision du peuple concernant la nature du futur régime, ce qui implique de mettre fin au rôle de l’armée sur la scène politique dès l’instauration d’un régime civil. Cela implique également l’adoption d’une politique étrangère qui ferait de l’Irak une force de paix stabilisante dans la région. [3] Il est remarquable que l’opposition irakienne évite systématiquement de mentionner Israël dans ses projets de changement.
L’internationalisation du conflit et le rôle des Etats-Unis
Il n’est guère surprenant que le rôle de l’Amérique, particulièrement sa décision déclarée de provoquer un changement de régime à travers des frappes défensives, soit un sujet très débattu. Tout en soutenant une intervention militaire des Etats-Unis en raison de l’incapacité de l’opposition à amener d’elle-même ce changement, un certain nombre de sceptiques doutent de la sincérité des Etats-Unis et de son engagement à long terme concernant l’instauration de réformes démocratiques et la reconstruction de l’Irak post-Saddam.
Mohammed Al-Rabi, professeur à l’université de Birmingham qui se qualifie de » démocrate indépendant « , explique la confiance accordée aux Etats-Unis par l’incapacité des forces locales à se débarrasser de Saddam. Les Irakiens, écrit-il, ont tout essayé, en vain. En conséquence, ils se sont attiré le désastre et l’oppression. Ce qu’il faut, ce n’est pas une guerre qui détruirait l’infrastructure de l’économie irakienne, mais une guerre contre les moyens de répression de Saddam et ses dispositifs de renseignements. [4]
Le Dr Abd El-Khaleq Hussein, membre du Collège royal des chirurgiens de Grande-Bretagne, rejette quant à lui l’opinion selon laquelle l’opposition irakienne serait à l’origine de l’internationalisation du conflit irakien. Il explique que ce n’est pas l’opposition, mais l’attitude de Saddam, qui a placé l’Irak sous tutelle internationale. En conséquence, les forces de l’opposition se voient contraintes d’accepter un appui extérieur, lequel a prouvé son efficacité lors de la libération du Koweït, des Balkans et de l’Est de Timor. [5]
L’analyste Salem Mashkour apporte une autre perspective. Dans un symposium sur le changement de régime en Irak par la force, symposium organisé par le quotidien saoudien Al-Okaz, S. Mashkour part du principe que le cas irakien a été internationalisé et que l’opposition irakienne n’a plus aucun rôle à jouer. Il divise l’opposition en deux mouvances : la première croit en l’inéluctabilité du changement grâce à une aide extérieure, plus spécifiquement américaine. La deuxième continue de considérer la situation sans prendre position : elle n’est pas contre le changement, même si les Américains doivent en être les acteurs, mais opte pour une attitude de laisser faire en attendant de voir comment les choses évoluent. [6]
Point de vue islamique
L’adepte le plus fervent d’une intervention américaine ayant pour objectif la chute de Saddam Hussein est probablement le chef spirituel de la communauté chiite irakienne, l’imam Mohammed Hussein Fadhlallah. Dans une fatwa (décret religieux), l’imam justifie une » alliance transitoire » avec des puissances étrangères si c’est le seul moyen de rendre victorieux les » musulmans opprimés « . » Les partis musulmans « , dit-il, » ont le droit de joindre des partis politiques laïques, nationalistes et libéraux pour faire tomber le régime de l’oppression. » [7]
De Qum (centre de l’orthodoxie religieuse en Iran), où il est exilé, l’ayatollah Sayyid Sadeq Al-Husseini Al-Shirazi a émis une fatwa similaire. Il a appelé les croyants à » rassembler tous leurs efforts pour tirer parti de toutes les occasions… à tous les niveaux, afin de sauver le peuple irakien croyant mais opprimé de la répression prolongée qu’il subit… » Il invoque ensuite Allah pour qu’Il aide à » écarter les tyrans et à construire un Irak indépendant et unifié sur les principes de la compétitivité [politique] légitime, la justice et la liberté. » [8]
La déclaration des chiites d’Irak
Le point de vue chiite sur l’avenir de l’Irak et les changements nécessaires est résumé dans un document signé par nombre d’universitaires, de professions libérales, de dignitaires religieux de la Chia (courant chiite). Le document établit que » …la Chia irakienne pose aujourd’hui un problème sur la scène internationale et ne se limite plus au territoire irakien… Le problème des communautés a été révélé au grand jour en dépit des efforts des autorités irakiennes pour l’occulter… L’opposition en Irak de la Chia à l’Etat se fonde sur des considérations politiques plutôt que communautaires et a évolué, à cause de la discrimination persistance exercée pour des raisons d’appartenance communautaire et de la cruelle oppression de l’Etat. Toute politique qui appelle à la séparation des pouvoirs sur la base de pourcentages communautaires – comme au Liban – n’est pas applicable en Irak… La réalité incontournable est qu’il existe deux communautés en Irak… Calquer une homogénéité artificielle sur cette réalité ne fait qu’aggraver le problème… [Cela dit,] on ne résoudra le problème des communautés en imposant un sectarisme chiite vengeur sur l’Etat et la société. « … [9]
* Le Dr Nimrod Raphaeli est chargé du programme d’études économiques de MEMRI