La semaine dernière, le directeur politique de l’agence de presse palestinienne (WAFA) a appelé à trois reprises à cesser les attentats-suicides et les tirs de mortier, et à revenir à l’Intifada populaire des pierres [1]. Ces appels ont été publiés dans le quotidien de l’Autorité palestinienne: Al-Hayat Al-Jadida. [2]. La WAFA et Al-Hayat Al-Jadida sont des organes officiels de l’Autorité palestinienne, et représentent donc sa position officielle. Dans son premier article, le directeur politique de la WAFA a fait la distinction entre une Intifada de pierres et de chaussures (lancées de la mosquée d’El-Aqsa sur les Juifs venus prier au Mur des Lamentations) d’un côté, les attentats-suicides et les tirs de mortier de l’autre:
L’Intifada a eu un effet miraculeux sur l’opinion internationale. Sa première arme, la pierre, a mieux qu’aucune autre amené le monde à prendre en considération les droits inaliénables du peuple palestinien.
L’Intifada est l’élément essentiel: elle désespère les Israéliens, et pousse Sharon et son théoricien, le « général » Shimon Peres, au délire terroriste. L’image d’un Israël criminel interpelle l’opinion dans le monde entier, y compris chez son plus proche allié, les Etats-Unis.
Nous devons faire attention aux discours et aux méthodes que nous employons et réviser nos priorités afin de ne pas sombrer dans une attitude réactionnelle, emportés par des récits héroïques (mythiques), qui éloignent le monde de nous.
Le Fatah a eu raison de désavouer une déclaration publique qui menaçait les Etats-Unis. Le Fatah jouit d’une plus grande expérience du combat [contre Israël] que nul autre parti, et ne se laisse pas mener par les émotions. Il a été fondé à des fins politiques et a déclaré qu’il n’adopterait pas des manières de gangsters.
Le Fatah doit, devant les caméras du monde entier, faire face aux massacres perpétrés par Sharon, en obéissant à la logique qui veut que pour atteindre nos buts politiques, nous devons éviter les réactions impulsives et désordonnées.
L’action préméditée est à la base de tout et doit devenir notre ligne de conduite. Nous devons faire preuve de patience envers les Américains, témoins du massacre de notre peuple, perpétré à l’aide d’armes américaines de haute technologie, et qui continuent néanmoins à faire des déclarations froides et neutres mettant sur le même plan les terroristes barbares et leurs victimes.
Nous nous sommes âprement battus pour obtenir la reconnaissance mondiale de notre identité nationale. Notre peuple l’a payée en rivières de sang. Sachez, que cela vous plaise ou non, que les Palestiniens ne vont pas décider de la tournure que prendra le combat, quel que soit le nombre de victimes et de menaces faites à l’Europe et aux Etats-Unis.
Une forte infiltration humaine et politique au cœur du monde, au nom de nos droits inaliénables, est notre arme principale. L’infiltration sera rendue possible grâce à l’usage de la pierre, de la désobéissance civique et de la résistance contre l’occupant aux barrages et en bordure des implantations, et non au cœur des lieux à haute fréquentation d’Israël, ni en lançant des obus de mortiers. Notre but doit être d’attirer la compassion du monde sur les victimes et le désastre que les Palestiniens traversent. Les réactions inadéquates et les prises de positions impulsives nous empêchent d’atteindre notre but.
Nous estimons que Sharon, à Naplouse d’abord, puis à Faria, a agi le plus bêtement du monde. Sharon n’a d’autre programme politique que d’instaurer la terreur afin de détruire le peuple palestinien. L’image que le monde commence à avoir de lui reflète bien qui il est. C’est une image qui gêne les Américains, ses alliés les plus proches. Du coup, ils hésitent deux fois plus avant de revenir à leur position d’indifférence. Cette indifférence est l’une des plus grosses erreurs de l’Administration Bush. Sharon en a profité pour commettre des actes terroristes délirants contre le peuple palestinien et l’Autorité palestinienne nationale.
Il est dur d’entendre raison à une époque de drame et de désastre, mais nous, Palestiniens, avons réussi à serrer les dents et à agir en fonction d’une logique qui donne la priorité à notre intérêt national. Sharon peut bien continuer dans la colère et l’escalade de réactions outrancières et délirantes, tel un assassin barbare qui tue dix personnes par jour. Nous continuerons d’agir, mais en sélectionnant nos moyens d’actions et nos armes, dont la principale reste l’incontournable pierre.
Il y a eu un événement tragique qui a fait passer l’un des messages les plus forts qui soient: un flot de chaussures sur la tête des soldats de l’occupation envoyées de l’esplanade de la mosquée El-Aqsa. Il n’y avait pas de pierres dans les alentours, alors des chaussures ont fait l’affaire.
Cette image a eu un impact beaucoup plus important que celles d’obus de mortier. Ce qui compte, c’est l’impact, le résultat, et pas la taille de la pierre. [3]
Quelques jours plus tard, le directeur politique de la WAFA a réitéré sa position:
Nous ne voulons pas céder à la panique et agiter les masses; nous voulons au contraire bien montrer que la peur ne nous atteint pas.
Le but de notre article était et demeure de bien montrer que nous avons choisi la paix et d’expliquer la position palestinienne.
Opter pour la paix signifie opter pour la coexistence de deux Etats: il n’y a pas d’autre possibilité pour chacun des Etats que de défendre la sécurité de l’autre. C’est pourquoi nous répétons que les attentats terroristes affaiblissent notre position politique et ne servent pas les intérêts primordiaux du peuple palestinien.
Un autre point intéressant est la tempête soulevée par l’article. Nous sommes pour la liberté d’expression, qui est pour nous chose sacrée, mais nous voilà face à un débat déchaîné, soulevé par les chaînes de la télévision arabe, où même les interviewers se permettent d’intervenir! Nous ne pouvons pas empêcher les gens de s’exprimer; et même si nous le pouvions, nous ne le ferions pas. Mais nous estimons qu’un débat doit reposer sur une interprétation politique rigoureuse des faits en question.
Les représentants arabes qui ne peuvent plus se passer d’intervenir sur les chaînes de télévision arabe doivent se mettre au courant de la situation des Palestiniens. Nous n’avons besoin de personne pour nous dicter quoi faire. Ceux qui le font ne sont pas sur le terrain et ne partagent pas la détresse des Palestiniens au jour le jour.
C’est nous qui sacrifions notre sang pur et en payons le prix chaque jour. Nous connaissons mieux que quiconque la voie à suivre, et la seule chose dont nous pourrions avoir besoin, c’est de soutien moral et matériel. Et nous savons mieux que quiconque comment mener un combat de pierres, de chaussures, et le cas échéant, d’armes, pour nous défendre contre l’occupation des soldats et des colons. C’est pourquoi nous demandons aux représentants arabes en question, qu’ils soutiennent ou non nos méthodes, de ne pas se laisser porter par le fanatisme.
Nous luttons [contre le gouvernement israélien] pour obtenir les faveurs de l’opinion publique israélienne et internationale. Nous n’avons d’autre possibilité que la coexistence et la paix sur une base solide: deux Etats respectant chacun la souveraineté de l’autre.
Avec cela en tête, arrêtons les attaques meurtrières contre les citoyens [israéliens]. Ainsi, l’opinion publique dans le monde et en Israël se focalisera sur les actions militaires terroristes commises officiellement par le gouvernement israélien et ne pourra plus fermer l’œil face à ces crimes qu’elle jugera horribles. [4].
Le 6 août 2001, le directeur politique de la WAFA a publié un troisième article, intitulé: Un test d’attention, de sagesse et d’intelligence, dans lequel il ne revient pas sur sa distinction entre pierres et armes, mais plutôt sur celle entre citoyens palestiniens et « occupants » [soldats et colons]:
La confrontation d’hier à Deir El Balakh [à Gaza] au cours de laquelle les forces israéliennes, armées de dix tanks, trois véhicules blindés, deux bulldozers et des dizaines de soldats israéliens colonisateurs, se sont infiltrées sur quelques centaines de mètres en territoire sous contrôle palestinien, a été le centre de la résistance palestinienne contre l’occupation et les implantations. Toutes sortes d’armes ont été utilisées, principalement la pierre et la chaussure, et aucun citoyen israélien n’a été touché. Les citoyens israéliens n’ont pas été visés. Ils sont malléables. Nous devons pénétrer leur conscience afin de clarifier notre position et nos intentions pures, dont la première et la principale est de faire la paix, option stratégique irrévocable.
Il n’y a aucune contradiction entre appeler à cesser l’action contre les citoyens et appeler à l’action la plus extrémiste contre l’occupation.
Nous devons persévérer, bien que cette persévérance se paie avec notre sang. Pendant ce temps le Premier ministre, son ministre des affaires étrangères et son secrétaire général perpètrent des actions terroristes en se servant de missiles américains. Notre persévérance conduira le gouvernement israélien à une impasse, dont même le théoricien Shimon Peres ne saura se sortir, malgré ses savantes manipulations des médias.
Nous aspirons au règne de la paix entre nous et les autres, et à en finir avec la lutte et la guerre. Pour arriver à cela, il faut commencer par expliquer quels sont nos buts, et faire valoir la légitimité de notre combat. Nous devons forcer Sharon à exposer sa politique terroriste au grand jour. Les réactions de l’opinion américaine et européenne seront semblables à celles des Israéliens.
C’est un test que nous devons passer à l’aide de notre sagesse, notre intelligence et notre réceptivité [aux événements]. Nous découvrirons ce faisant que nous avons à notre portée les armes les plus efficaces qui soient, plus puissantes que n’importe quelle autre arme, y compris la bombe atomique et les obus meurtriers. [5] ~