Profil culturel d’un activiste de la paix égyptien
L’auteur et éditeur Amin Al-Mahdi est l’une des plus importantes personnalités du mouvement de la paix égyptien. Dans son livre, Le Conflit Israélo-Arabe – la Crise de la Démocratie et de la Paix et dans une interview récente accordée au journal israélien Ma’ariv, [1] Al-Mahdi développe l’idée que les régimes arabes utilisent le conflit israélo-arabe pour justifier leurs tendances autoritaires et que l’essor de l’islam fondamentaliste empêche l’Egypte de se moderniser. Voici des extraits de l’interview et du livre d’Al-Mahdi :
Les Media Gouvernementaux en Proie à des Pressions anti-Pacifiques
Le gouvernement égyptien, affirme Al-Mahdi, encourage l’hostilité de la presse égyptienne à l’égard d’Israël : “C’est de la schizophrénie. Un rédacteur en chef qui veut avoir une ligne éditoriale en faveur de la paix ne le peut pas. Il subit les pressions les plus démagogiques. Cette pression peut aller jusqu’au meurtre “civil”. J’ai des amis qui pensent comme moi, mais ils travaillent pour la presse gouvernementale et ils ont les mains liées… Ils ne diront jamais ce que je dis. Je les comprends… Nous avons un traité de libre échange avec les USA mais pas un seul journal libéral. C’est une tragédie. Nous avons essayé d’obtenir une licence pour créer un journal représentant les activistes de la paix mais [les autorités] ont refusé. Alors, où est-ce que je publie mes articles? A Londres [dans le quotidien Al-Hayat].
“Nos media dirigent l’opinion publique contre Israël afin de la détourner des vrais problèmes… Après tout, notre situation économique est mauvaise; nous subissons l’extrémisme islamiste; notre liberté est partielle.”
Le Conflit Israélo-Arabe: une Excuse pour Etablir la Dictature
“Les régimes arabes, [le régime] égyptien inclus, n’ont pas voulu copier la démocratie israélienne de peur que ça ne les mène à la chute. (…) Le conflit avec Israël a servi aux régimes arabes de justification à leur politique dictatoriale. Leur politique d’intimidation a empêché le dialogue et la possibilité d’apprendre à connaître l’ennemi. Il a conduit à l’alliance [entre extrémistes arabes] et militaristes en Israël, et a plongé la région dans de longues années de glaciation.”
“La mentalité égyptienne, en ce qui concerne l’établissement de relations pacifiques avec Israël, est consternante. Nous avons un régime fasciste. Un tel régime a besoin de la guerre pour justifier sa centralisation. Il a besoin de la présence d’un danger externe. Le régime de Ben Gourion en est un bon exemple: lui et Abd Al-Nasser coopéraient sans coordination [directe]. Leurs buts étaient différents mais leurs méthodes identiques. Abd Al-Nasser avait besoin de la présence d’un danger externe pour construire un Etat fasciste et dictatorial. Ben Gourion disait qu’Israël est un petit Etat qui a besoin de terres supplémentaires…de la bombe atomique…de la force militaire. Il voulait toujours plus de terre.”
“Toutes les décisions intérieures [des régimes arabes] sont définies par des critères sécuritaires,” dit Al-Mahdi, “Il n’y a pas de société civile. Si vous voulez établir une ONG, même pour l’art ou la littérature, vous devez obtenir une licence. Tout est contrôlé par le gouvernement. Seuls les gens religieux font ce qu’ils veulent. Vous pouvez toujours construire des mosquées (…) dans le jardin, sur la place publique, partout. Il y a 52 ans, il y avait sept centres d’études religieuses en Egypte, trois institutions d’enseignement supérieur et quatre écoles [religieuses]. Aujourd’hui, il y en a six mille. Qu’est-ce qui se passe ici?”
“Nous ne sommes pas une démocratie. Ils veulent empêcher les gens de connaître [la vérité]. Depuis l’époque d’Abd Al-Nasser, il y a eu peu de progrès dans le domaine des libertés personnelles. Il y a un peu plus de liberté d’expression dans les livres mais pas dans les media électroniques.”
Le Nassérisme : La Débâcle de l’Egypte
Al-Mahdi était à Beyrouth en septembre 1982 et a pris des photos des massacres de Sabra et Chatila. Ces photos ont été publiées dans le journal libanais Al-Safir et à travers le monde. “Jusqu’alors ma pensée était modelée par le nationalisme arabe”, dit-il, “et un peu par le Nassérisme, bien que je déteste la dictature. Après le massacre… j’ai essayé de réfléchir… Pourquoi est-il difficile pour nous de dire ce que nous pensons?”
“En 1988, j’ai commencé à comprendre la règle de la synchronisation au Moyen-Orient. J’ai réalisé qu’il existait une alliance entre extrémistes en Israël et fascistes antidémocratiques ici. Une fois que nous avons commencé à combattre Israël, nous avons perdu la démocratie. Abd Al-Nasser était champion en défaitisme. C’était aussi un grand dictateur… Ainsi, j’ai vu dans la paix avec Israël la clé à tous les problèmes.”
“En 1952 [le régime égyptien] détruisit la ‘rue politique’. C’est le pire dommage [infligé] à l’Egypte jusqu’aujourd’hui. Jusqu’à ce qu’Abd Al-Nasser apparaisse, il y avait une activité politique vivante. Il y avait une classe moyenne importante qui se calquait sur le modèle de l’Europe. L’Egypte était séculière. Aujourd’hui, [il y a] 240.000 mosquées en Egypte. En Iran, il y en a seulement 88.000. Toutes ces mosquées [servent] la propagande anti-moderniste, qui refuse [les droits des] femmes et la globalisation.”
“Quand vous êtes occupés à écrire des fatwas [décisions religieuses islamiques], vous oubliez la démocratie et le modernisme. Vous humiliez les femmes et n’avez pas besoin de liberté parce que vous attendez la miséricorde des cieux et rien de l’humanité.”
Al-Mahdi a forgé l’expression “les sept sœurs” en référence aux régimes arabes qui suivirent Abd Al-Nasser : le Yémen, l’Algérie, la Libye, la Syrie, l’Iraq, le Soudan et l’OLP. “Ils peuvent faire la paix avec n’importe quel Etat mais pas avec leur peuple. Leur slogan était: “Aucune voix ne doit s’élever au-dessus de celle de la bataille.” Il y a une campagne contre la culture de la paix. Quiconque s’oppose à la révolution est condamné. On peut le constater en lisant la presse.”
La Normalisation des relations avec Israël
Le combat contre la normalisation est une imposture, dit Al-Mahdi. “Israël et l’Egypte ont établi des relations commerciales. Il y a le tourisme. Les Israéliens passent un million et demi de nuits par an en Egypte. Quatorze mille Egyptiens travaillent en Israël. C’est un véritable village. La plus grande usine de sous-vêtements d’Egypte est l’usine israélienne Delta, qui emploie 3000 ouvriers. Il y a trois villages agricoles ici avec des experts israéliens. Les relations sécuritaires sont étroites, les armées coordonnées. Qui dit qu’il n’y a pas normalisation? Ils disent que la raison [de l’absence de normalisation] est le problème palestinien. Nous sommes en guerre avec le Soudan mais les ponts sont ouverts et il y a normalisation avec le Soudan, [alors qu’] avec Israël, il n’y a pas eu de guerre depuis 27 ans, et pourtant les ponts sont réellement gelés.”
“Nous voulons leur vendre du gaz, il y a coopération en matière de sécurité, nous recevons des touristes, mais nous ne savons rien d’eux. Les leaders peuvent tout faire. ils peuvent visiter Israël, ils peuvent signer des traités, personne ne s’en prendra à eux. Et c’est la même chose pour les services de sécurité et les banquiers. Mais les artistes et les intellectuels sont en danger [s’ils agissent de même].”
Sionisme et Post-Sionisme
Dans son livre, Al-Mahdi montre aux lecteurs arabes que le sionisme n’est pas né du racisme, mais plutôt de l’antisémitisme européen.
Al-Mahdi est très impressionné par le phénomène du Kibboutz. “Le Kibboutz”, dit-il, “a joué un rôle important dans le fait qu’Israël est un Etat très fort… Aujourd’hui [cependant] ce phénomène est en passe de devenir un souvenir. C’est le sort des idéologies. Au début, elles ont besoin de rêveurs, puis de combattants et à la fin, de biographes.”
“Je crois que l’Israël post-sioniste est plus prêt à la paix et comprend la nécessité d’une justice pour tous les citoyens. Quand vous êtes un Etat moderne, c’est bon pour toute la région, pas seulement pour vous.”
Al-Mahdi est optimiste. Il est sûr qu’en fin de compte, ceux qui sont pour la paix vaincront.